Une semaine après mon entretien avec l'
officer d'en-dessous, on est au parc en train de pique-niquer avec une amie et sa fille.
Les mamans papotent, de temps en temps, elles lèvent les yeux vers leur progéniture qui coure, saute, tombe, grimpe, tourne, collectionne les bosses et les bleus, glisse et se balance joyeusement.
Pasfollette est sur un tourniquet lancé à pleine vitesse, décide de lâcher prise et fait par conséquent un vol plané. Elle fait un joli petit 'crunch' à l'arrivée.
Je la prends dans les bras, on s'asseoit, je lui fait des calins. J'examine son épaule où elle me dit qu'elle a mal, je ne vois rien. Je lui propose de retourner jouer, elle ne veut pas, elle chouine, elle est pâle. Je me demande si on doit rentrer, ma copine, infirmière se propose de l'examiner: elle lui tourne le bras dans tous les sens, pasfollette pleurniche mais n'hurle pas, ma copine la déclare indemne de tout dommage grave.
Pasfollette est très pâle, mais je ne veux pas *encore* passer pour une mère hystérique, alors je reste là, ma fille sur mes genoux pendant tout le reste de l'après midi.
À la fin de l'après-midi, au moment de partir, je la soulève pour la hisser dans la voiture et elle pousse un hurlement à faire frémir. Je décide de l'emmener aux urgences.
Dans la salle d'attente, j'appelle Pasfou au bureau. Je suis en train d'expliquer à Pasfou qu'il a une demi-heure pour rentrer à l'appartement et ranger le bordel monstrueux qui s'y trouve parce que mes parents en visite aux US, accompagnés d'amis, arrivent justement ce soir. Les garçons sont en train de regarder, impressionnés, un homme aux prises d'une crise de calculs rénaux (ça c'est mon diagnostic) se tortiller de douleur en gémissant. À la télé, l'armée américaine commence son invasion de l'Iraq ( on est le 19 mars). Je songe à l'
officer, qui enquête sur moi en ce moment même. Un truc de plus à rajouter dans mon dossier.
Mon niveau de stress est à son sommet: l'Iraq, les gémissements, le 'child abuse', mon appart' en bordel, les garçons qui s'apprêtent à pousser le fauteil roulant du type aux calculs, Pasfollette 'abimée', les soldats, l'
officer, les garçons on trouvé le frein, le tas de linge sale et la vaisselle d'il y a deux jours, Pasfollette verte, ...
Et puis soudain, je rigole. On a pas idée de vivre des journées pareilles!
Finalement, un jeune docteur examine Pasfollette, comme ma copine infirmière, il lui tortille le bras dans tous les sens, elle pleure, mais doucement; elle pâlit mais ne crie pas. Il me dit qu'elle s'est sans dout fait un gros bleu, me recommande de lui donner du Tylenol si elle a mal et peut-être de la glace sur son épaule.
Quelque chose cloche.
Pasfollette n'est pas douillette. Elle se fait des tonnes de bleus tous les jours sans même m'en parler. J'aime pas la couleur de son visage ce soir. Je ne l'ai jamais vu pleurnicher tout doucement comme ça, comme si elle avait peur de respirer trop fort.
Je dis au médecin que je pense qu'il y a autre chose. J'insiste. Lourdement.
Il résiste, puis finit par capituler.
-"Si vous voulez
vraiment, on peut faire une radio, pour vous rassurer."
C'est cela, pour me rassurer.
C'est lui qui était pâle, une demi-heure plus tard.
Moi aussi j'avais vu l'espace entre les deux bouts d'os sur la radio.
- "Elle a la clavicule cassée. Alors tout d'abord, on va lui donner de la codéine, parce qu'on a du lui faire très mal ce soir."
Au moins, il a eu le courage de reconnaître combien de douleur il lui avait infligé à lui tirer le bras dans tous les sens pendant dix minutes, d'abord son infirmière, puis lui, dans l'espoir de tirer un cri franc et révélateur.
Une fois que les bêtes adultes autour d'elle avaient compris qu'il suffisait juste de ne pas lui toucher le bras, Pasfollette allait mieux.
Je n'en veux pas au docteur, comme je n'en veux pas à l'
officer qui m'a rappelé le soir même pour m'annoncer qu'il avait fini son enquête et que je pourrai récupérer mes photos au HEB d'ici deux jours. Mon dossier sera classé, mais pas détruit.
Vivement qu'il passe dans les archives de l'hôpital et qu'il vienne me demander comment j'ai fait pour casser ma fille.
# rédigé par
Pasfolle à 15:49